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Transidentités dans l'enfance et professionnel·le·s : des clés pour accompagner

Par Noah Gottlob, publié le 8 février 2021

Les références bibliographiques sont indiquées par le numéro entre parenthèses qui se réfère à la bibliographie en fin d’article.

Face à aux enjeux présentés dans les articles précédents, les enfants transgenres et/ou leurs parents peuvent se tourner vers des professionnel·le·s avec la demande légitime d’accompagnement, de suivi psychothérapeutique ou de soins. Toutefois, force est de constater que (très) peu de professionnel·le·s sont formé·e·s aux spécificités de ces situations. Ce constat se retrouve, non seulement, dans la littérature scientifique qui a étudié la question (1), mais également dans notre travail de terrain quotidien au sein de l’ASBL Transkids et à travers les échos de nos bénéficiaires (en savoir plus sur Transkids ASBL).

 

De fait, les cursus au sein des universités et hautes écoles n’intègrent que peu (voire pas du tout) les thématiques en lien avec le(s) genre(s) et encore moins celle des transidentités dans l’enfance. Pire, il arrive même que ce sujet soit présenté comme relevant du pathologique. Par exemple, lors de mes études en psychologie clinique, lorsque les transidentités ont été abordées, ce fut sous l’appellation “transsexualisme” au milieu de mon cours de “Psychopathologie de la sexualité” entre les chapitres “perversions” et “fétichisme”. Inutile, je pense, d’expliquer en quoi cette “maladresse” (si cela en est une) peut implanter une mauvaise compréhension de la réalité non pathologique (faut-il le préciser ?) des transidentités dans l’enfance.

 

Ce présent article vise à présenter, de façon non-exhaustive, certaines clés de compréhension et d’action à destination des professionnel·le·s de la santé et professionnel·le·s de l’enfance qui sont amené·e·s à rencontrer des enfants en situation de transidentités et leurs parents. Ce contenu doit s’envisager comme une série de pistes de réflexion, qu’il est important d’adapter à chaque situation unique et subjective.

 

Je développerai premièrement les attitudes générales préconisées (Attitudes générales du·de la professionnel·le) avant de présenter, plus en détail, une approche en particulier : celle des interventions transaffirmatives (Les interventions transaffirmatives).

Par ailleurs, notez qu’il est possible, de mettre en place, via Transkids Belgique ASBL des séances de formation, de sensibilisation et/ou de supervision (individuelle ou d’équipe) à propos des thématiques ou de situations cliniques en lien avec les transidentités dans l’enfance. Plus d’informations via le formulaire de contact.

Attitudes générales du·de la professionnel·le

Ce qui est globalement préconisé par la littérature en termes d’accueil des personnes transgenres pourrait revêtir l’apparence d’une application logique d’un cadre (thérapeutique ou  non) bienveillant. Autrement dit, on pourrait retrouver un tel accueil chez tou·te·s les professionnel·le·s. Mais, en réalité, ce que les études scientifiques constatent du côté des professionnel·le·s est plutôt de l’ordre des manquements et des dérives (notamment en termes de psychiatrisation, de pathologisation et d’internement) voire même parfois des refus de soins en raison de la transidentité de leur patient·e (1). Il paraît donc judicieux de les sensibiliser à ces situations et de les outiller. Voici quelques pistes visant la mise en place d’un cadre bienveillant.

 

Le premier point à aborder est celui du prénom, il est primordial pour le·a professionnel·le (comme d’ailleurs pour tout individu de l’entourage de l’enfant) d’utiliser un prénom qui reflète, selon l’enfant, son identité de genre. Des études montrent que les « taux de dépression, le sentiment d’insécurité à l’école et de non-appartenance diminuent avec l’augmentation du nombre d’environnements où les jeunes trans’ sont autorisés à utiliser leur prénom correspondant à leur identité de genre » (2, p.12). Des soins respectueux de l’autodétermination ont ainsi une incidence sur l’épanouissement des jeunes. Toutefois, comme déjà mentionné, ce type d’accueil est rare (1).

 

Mettre l’accent sur le genre et non sur le corps. C’est d’ailleurs pour cela que l’on utilise désormais le terme transgenre et non plus transexuel·le qui évoquait un changement de sexe et non de genre alors qu’il s’agit de choses bien distinctes. Dans cette suite d’idées, il faut veiller à éviter la connotation de sexualité que ce soit en termes de préférences sexuelles ou de pratiques sexuelles (3).

 

Pour rappel, l’identité de genre, et plus largement le genre lui-même, ne doit pas être confondu ni avec le sexe ni avec l’orientation sexuelle. Le sexe concerne principalement les attributs du corps (5). L’orientation sexuelle désigne « les affinités identitaires, les désirs ou les conduites sexuelles d’une personne selon son sexe et le sexe de ses partenaires, fussent-ils fantasmés » (6, p.42). Enfin, le genre, quant à lui, a trait aux aspects psychologiques et sociaux (5). Comme le souligne Michel Dorais (6), le genre est « plus subjectif et fluide que le sexe » (p.44). Toutes ces notions sont souvent confondues, et ce, même dans des études scientifiques. Jusqu’à la fin du 20ᵉ siècle des pratiques de genre étaient souvent interprétées en recherche comme une manifestation d’homosexualité (7). En bref, la sexualité est « l’un des lieux où s’exerce le genre » (8, p.11) mais il serait réducteur de limiter ce dernier au domaine sexuel.

 

Prise en charge de la famille également. Le soutien familial étant un facteur primordial dans l’épanouissement des jeunes, il semble pertinent d’y accorder une attention particulière. Citons les résultats d’une étude menée en Ontario qui souligne que le taux d’idéation suicidaire diminue de 93 % chez les jeunes qui bénéficient d’un soutien de leurs parents comparativement à celles·ceux qui n’en bénéficient pas (1). Vu ces chiffres, on comprend l’intérêt d’accompagner les familles dans la compréhension de ce qui se joue pour leur enfant afin de pouvoir devenir des soutiens.

 

En règle générale, soulignons qu’une sensibilisation des professionnel·le·s semble nécessaire afin de déstigmatiser cette population ou de permettre aux professionnel·le·s d’identifier, de façon plus précoce, des signes de transidentité. Mais aussi de pouvoir les accompagner de façon adaptée, sans tarder, tout en identifiant les besoins spécifiques de l’enfant en fonction de son âge. Une attention particulière doit être toutefois être portée au fait que cette sensibilisation ne doit pas avoir l’effet inverse, c’est-à-dire stigmatiser les personnes transgenres et créer la pensée que l’ensemble des personnes concernées partagent un vécu commun. Leurs situations sont, au contraire, extrêmement hétérogènes (2).

 

Enfin et en cohérence avec le point précédent,  il serait intéressant de « réapprendre le genre et comprendre la complexité des parcours et expériences » pour reconnaître la diversité des identités et expériences individuelles (1, p.99). Comprendre « qu’il existe plusieurs expressions et identités de genre, et que ces expressions et identités font partie de la diversité humaine et ne sont pas des problématiques, des déviances ou des situations causées par le parent, comme l’ont longtemps soutenu certaines études » comme l’exprime Annie Pullen Sansfaçon (1, p.100). Elle souligne ainsi la nécessité d’un « changement de paradigme de la part du professionnel » par rapport à « cette manière différente d’appréhender le genre ». Il existe encore des thérapies correctives de genre (ou approches normalisantes) visant à renforcer les comportements stéréotypés (4). L’American Psychological Association invite les psychologues à se distancier de ces pratiques pour favoriser une approche d’acceptation de l’enfant. Le mouvement de dépathologisation se concrétise également par la suppression dans le DSM5 du « trouble de l’identité sexuelle » qui laisse place à la « dysphorie de genre, lorsqu’il y a souffrance découlant de la non-concordance entre l’identité de genre et le sexe assigné à la naissance et des pressions sociales qui l’accompagnent. » (1, p.101).

 

Autrement dit, réapprendre le genre, c’est s’ouvrir à l’apprentissage de nouvelles réalités, de nouvelles notions qui étaient invisibles à nos yeux jusqu’alors. Nous avons, en effet, depuis notre enfance, appris le genre d’une certaine façon (pour beaucoup d’entre nous, nous avons appris le genre de façon binaire et stéréotypée). Il nous a été enseigné de ne pas voir les situations qui s’écartent des normes de genre.

À présent, l’enjeu est d’élargir le champ de vision et de compréhension. S’ouvrir des vécus qui s’écartent de la binarité de genre et des stéréotypes qui en découlent.

 

Les interventions qui visent à soutenir les identités de genre des jeunes induisent chez celles·ceux-ci une amélioration de la santé, du sentiment de bien-être et de la qualité de vie en général (1). D’où l’importance, notamment, des interventions transaffirmatives qui seront développées dans le prochain point.

Interventions transaffirmatives

Les interventions transaffirmatives ont pour objectif de soutenir le développement de l’identité ressentie par la personne (et non de la modifier). Ces interventions se basent sur deux principes : D’une part, celui de « réapprendre le genre et comprendre la complexité des parcours et expériences des personnes transgenres » (cf. supra). D’autre part, celui de « promouvoir l’autodétermination et le soutien des familles vers l’atteinte de leurs besoins » (1, p.95). Concrètement, ces interventions créent des espaces plus inclusifs pour les familles et les jeunes trans ; les soutiennent dans la lutte et la défense de leurs droits ; stimulent le changement social ; adaptent, si nécessaire, leurs conditions de vie jusqu’alors opprimantes qui affectaient le·a jeune et la famille ; cela peut également passer par l’encouragement des familles à genrer correctement leur enfant ; ou encore à se préparer, en tant que travailleu·r·se à recevoir une personne dont les pièces d’identité sont non conformes à leur identité ou expression de genre et à la genrer selon son souhait ; enfin, il peut également s’agir de les accompagner dans la recherche de ressources adéquates qu’il·elle·s peinent à trouver (1).

 

En d’autres termes, l’idée est de soutenir l’enfant dans son autodétermination et dans sa transition. Lui offrir la possibilité d’être authentique, dès le début, sans exiger de justification. Lui reconnaître le droit d’être visible. En cohérence avec les résultats des recherches supportant l’idée que les enfants qui ont opéré une transition sociale tôt ne montrent pas plus de signes de dépressions que leurs pairs et ne sont que très légèrement plus anxieux (9).

Psychologie inclusive

Pour conclure cet article, je me pencherai sur l’approche de psychologie inclusive dont je tente actuellement de poser les bases. À mon sens, il est possible d’évoquer quatre éléments clés (les 4A) de l’approche que je développe : 

  • L’Autodétermination et le respect de cette liberté que détiennent de façon légitime les patient·e·s. Cela revient à accueillir les personnes pour ce qu’elles sont et à ne pas les amener à tendre vers ce que la norme sociale décrit comme acceptable ou non.

  • L’Authenticité et l’accompagnement de l’individu dans l’exploration de son identité propre et authentique, sans pathologisation ni normalisation de la part des professionnel·le·s.

  • L’Apprentissage, qui revient à la responsabilité des professionnel·le·s de s’informer sur l’ensemble des réalités qui existent qui composent l’immense champ des vécus possibles et subjectifs. Cela nécessite une volonté de ne pas se cantonner à la norme basée sur la majorité numérique.

  • L’Acceptation et la visibilisation de ces vécus. Il s’agit d’une reconnaissance de la légitimité d’autrui. La littérature nous apprend en effet, que le vécu de légitimité est intimement lié au sentiment de justice ainsi qu’avec les rapports de reconnaissance mutuelle (Guéguen, 2014). Je présenterai dans un prochain article la Théorie de la reconnaissance élaborée notamment par A. Honneth (2004) qui énonce l’importance de pouvoir être reconnu pour ce que l’on est, et importance cruciale que cela revêt dans la façon dont on se perçoit.

Noah Gottlob

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Références bibliographiques

  1. Pullen Sansfaçon, A. (2015). Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus et des interventions à privilégier pour le développement de pratiques transaffirmatives. Santé mentale au Québec, 40(3), 93-107. doi : 10.7202/1034913ar.

  2. Schneider, E. (2013). Les droits des enfants intersexes et trans’ sont-ils respectés en Europe ? Une perspective. Conseil de l’Europe. En ligne : https://rm.coe.int/168047f2a8 (consulté le 17/1/19 à 13h48).

  3. Motmans, J., de Biolley, I., & Debunne, S. (2009). Être transgenre en Belgique. Un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres. Bruxelles : Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes.

  4. Pullen Sansfaçon, A., & Bellot, C. (2016). L’éthique de la reconnaissance comme posture d’intervention pour travailler avec les jeunes trans. Nouvelles pratiques sociales, 22(2), 38-53. doi : 10.7202/1041178ar.

  5. Rowland, O. (2015). Les genres non-binaires sur Internet et Facebook. Observatoire des transidentités. En ligne : https://www.observatoire-des-transidentites.com/2015/05/08/ 2015-05-les-genres-non-binaires-sur-internet-et-facebook/ (consulté 4/12/18 à 19h03).

  6. Dorais, M. (2015). Repenser le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. Santé mentale au Québec, 40(3), 37-53. doi : 10.7202/1034910ar.

  7. Hines, S. (2018). Is Gender Fluid ? A primer for the 21st century. Londres : Thames & Hudson.

  8. Détrez, C. (2015). Quel genre ? Paris : Editions Thierry Magnier.

  9. Durwood, L., McLaughlin, K.A., & Olson, K.R. (2017). Mental health and self-worth in socially transitioned transgender youth. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 56(2), 116–123. doi : 10.1016/j.jaac.2016.10.016.

  10. Guéguen, H. (2014). Reconnaissance et légitimité : Analyse du sentiment de légitimité professionnelle à l’aune de la théorie de la reconnaissance. Vie sociale, 8(4), 67-82. doi : 10.3917/vsoc.144.0067.

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